Ce qui m'impressionne particulièrement chez Sol LeWitt, c'est l'obstination avec laquelle il s'est tenu, à travers les années, à des principes clairs et précis tout en parvenant à produire beaucoup. Cette conviction intérieure est moralement exemplaire - la conviction que l'art n'est ni un divertimento, ni un frivole voyage d'agrément à travers des milliers de possibilités. Pour l'artiste véritable il n'existe qu'une seule possibilité, dont il a eu la vision et qu'il doit défendre comme une révélation personnelle. Dans l'art moderne, une conviction et une obstination inlassables sont absolument essentielles - que les artistes développent à travers une stratégie adaptée à leurs idées.
LeWitt adhère à son programme avec le simple et noble dévouement d'un fermier qui travaille ardemment sa terre, année après année. Cela donne à son art une fondation solide ; et la solidité de la fondation s'accroît de par la force de l'obstination. Tout comme le fermier ne compte pas sur un miracle mais place sa confiance dans une perspicacité formée par l'expérience, LeWitt ne se fie ni à l'inspiration ni aux hasards de l'impulsion. Dans le vaste corps de son œuvre, les formes et les constructions nouvelles ne résultent donc pas de la circonstance, ni même de l'expérimentation. Son œuvre (les dessins le montrent de manière particulièrement significative) repose sur la force d'une expérience et d'un savoir énormes, qui continuent de croître. Comme si formes et constructions faisaient toutes, de longtemps, partie d'un plan personnel et qu'elles attendaient simplement les conditions qui les amènent à la réalité.
Sans doute peut-on aussi comparer la façon de travailler de LeWitt à celle d'un architecte, qui formule d'abord un bâtiment comme une vaste idée, dont il précise ensuite les détails. Il connaît alors la place et la taille de ces éléments ; exactement de la même façon, les œuvres de LeWitt donnent l'impression d'avoir surgi d'une tranquille aptitude à la précision et jamais d'une découverte de hasard. Elles viennent au monde non comme de brillantes variations, mais comme les résultats achevés d'une ferme vision intérieure. En même temps, il est important de comprendre que LeWitt n'est pas un artiste systématique. Ce qu'il crée n'est pas basé sur des calculs systématiques ; nous n'avons pas affaire à une succession de variations thématiques. Son œuvre est d'une étonnante diversité, même alors qu'elle relève visiblement d'une attitude de principe. Ce principe fermement professé, cependant, ne ressemble jamais à une orthodoxie. C'est vraiment un principe philosophique (dans la mesure où il s'y forme une théorie sur ce que devrait être la fabrication de l'art), mais, plus encore, un modèle pratique. C’est une façon de faire et une méthode d'approche sans réelle prémisse esthétique ; le principe est de ce fait (à la différence de l'Op Art ou d'autres formes orthodoxes) à l'abri de la compulsion, sous quelque aspect que ce soit. Dans chaque œuvre, le principe est le point d'origine et une indication de direction - ou un processus de formulation susceptible, dans la perspective philosophique de LeWitt, d'évoluer librement, sans manipulation esthétique, jusqu'au résultat final. En cours d'achèvement, ce résultat devient concret et étonnamment indépendant ; achevé, il apparaît comme une œuvre d'art autonome, rayonnant de son mystère propre - et pas du tout, je continue de le remarquer, comme la ramification programmée d'un complexe systématique. Cela est comparable à Piero della Francesca, qui trouva dans la claire rigueur de la perspective une façon de travailler précise et maîtrisable, un centre contemplatif et silencieux ; et cependant chaque peinture était dotée d'une inaltérable personnalité propre, dans laquelle se dissolvait complètement la rigueur perspective.
Ou encore : lorsque je considère l'œuvre patiente et pensive de LeWitt comme un tout (ainsi que le révèle avec une fascinante clarté ce recueil de dessins), je me surprends à penser à la Divine Comédie de Dante. Ce poème épique est méticuleusement organisé, jusqu'à son plus infime détail ; le langage est ajusté en un agencement de rimes soigneusement contrôlé et continûment soutenu. _Le poème semble d'abord constituer un système brillamment organisé, conséquent et raffiné. Mais, quelle que soit la page que l'on ouvre, chaque fragment est un joyau en lui-même, dur et clair comme le cristal. LeWitt est notre Dante, par sa simplicité mélodique comme par la richesse de son œuvre, en son entier et en son détail.